Dimanche 22 juillet, 9h15. Une salve de détonations, suivie d’une inclinaison vers le sud de ce qui subsiste de la Centrale électrique de Richement, effacera définitivement du paysage, un vestige supplémentaire de l’ère sidérurgique. EDF propriétaire des lieux accomplira ainsi un nouvel acte de post-exploitation d’un site, ayant largement contribué à améliorer la compétitivité de l’acier lorrain.

Une première salve, après la mise à bas des cheminées en 2012, avait l’an passé permis à EDF de déconstruire une première partie de la centrale électrique de Richemont. Depuis seule la partie orientale, la plus proche du canal, dressait encore sa masse, témoignage d’une aventure commencée en 1954 afin de valoriser le gaz de hauts-fourneaux au profit de l’activité sidérurgique. Cette fois, EDF conduit la dernière phase symbolique de cette déconstruction. Au matin du dimanche 22 juillet, toute la vie dans son environnement proche sera suspendue. Les autoroutes A31 et A30 seront neutralisées, même chose pour le chemin de fer, les routes et même la circulation aérienne. Certains riverains seront évacués. Cette suspension ne devrait durer que quelques instants : le temps d’une séquence d’explosions destinées à rompre l’ossature désormais apparente du dernier bâtiment des chaudières de la Centrale. Ensuite si tout se passe de façon nominale, les poutrelles cisaillées par les charges d’explosifs, ploieront sous le poids des structures et des équipements qui habitent encore le bâtiment, puis l’ensemble basculera vers le sud. Même si un arrosage préventif et durant l’opération sera assuré, un nuage de poussière ne manquera pas de s’élever au dessus du site. Son dernier panache en quelque sorte ! Car ensuite, les opérations se dérouleront au sol et dans l’environnement de ce qui fut la Centrale, la vie reprendra son cours. Mais quelque chose manquera désormais au paysage.

L’amiante : un tiers du budget

Lorsque la Centrale a cessé d’être raccordée au réseau en 2008, elle produisait tout juste 0,3 terawatts /heure. Soit une valeur infinitésimale de ses capacités au plus fort de son existence, puisqu’elle avait été dimensionnée pour produire 3 terawatts/heure, lorsqu’elle disposait de cinq chaudières, alimentées à 75% par le gaz de hauts-fourneaux et par un complément de charbon ou de fioul. Mais c’était ainsi : les fourneaux s’étaient éteints et la centrale autrefois au centre d’un maillage de plusieurs gazoducs en provenance des sites sidérurgiques, n’avait plus de vocation industrielle directe. Ni d’alimentation. Les feux se sont donc éteints en 2008 et EDF qui avait racheté la Centrale a engagé son plan de post-exploitation. Une douzaine d’années, pour faire place nette et offrir une nouvelle vocation industrielle au site de 52 ha après en avoir valorisé tous les éléments qu’il recelait. Cette approche d’ensemble explique la sémantique : la post-exploitation n’est pas une édulcoration de la démolition, mais bien une démarche globale visant à valoriser matériels et matériaux, à respecter les règles environnementale et les textes concernant les établissements classés, puis à tenter de trouver une nouvelle vocation économique au foncier. Cette approche à long terme, peut parfois donner le sentiment à ceux qui chaque jour voient la Centrale, qu’ils imaginent laissée à la dérive, alors que le travail n’y cesse jamais. Il a fallu désamianter (un tiers du budget !), enlever les milliers de points d’éclairage, sortir les matériels exploitables comme les transformateurs, véritables mines de cuivre, et encore sortir certains équipements. De la même façon, les travaux préparatoires au dynamitage ont aussi pris du temps. Que ce soit le creusement des fossés anti-souffle, les protections des réseaux et des bâtiments administratifs encore debout, ainsi qu’une foule de tâches annexes, la Centrale n’a jamais connu de pause : « Depuis le début, nous n’avons jamais connu d’arrêt, et nous ne comptons aucun accident » explique Remy Touret, directeur du centre de post-exploitation d’EDF. Le chantier n’a donc jamais cessé, même si la date finale d’exécution qui n’est pas contrainte comme lors des projets de construction, a favorisé le travail métier par métier au lieu de devoir empiler les tâches. Le temps a favorisé la bonne exécution dans des conditions de sérénité.

96% des déchets valorisés

Cinquante millions d’euros ! Tel est le coût de cette post-exploitation. Autant dire que la fin de vie de la Centrale contribue une dernière fois à l’économie générale et qu’avant de tirer sa révérence, ladite installation prodigue une dernière part d’énergie. La déconstruction des installations intervient pour un tiers dans le budget général, le désamiantage, nous l’avons vu pour autant, et la dernière partie de l’enveloppe est consacrée à tout le reste. Voiries, gardiennage et travaux connexes. Dans ce vaste mouvement de moyens, la valorisation est un élément clé de l’opération. Les aciers sont ainsi triés et découpés pour être renvoyés à une aciérie électrique, les bétons sont concassés et serviront à restituer une plate-forme propre, tout comme les milliers de briques qui composaient les murs sont valorisés. En amont, tous les matériels qui ont pu être récupérés l’ont été. L’économie du programme ne comprend donc pas uniquement des dépenses. L’expérience aidant, jusqu’à 96% des déchets peuvent être valorisés.

Lorsque l’ensemble du bâti du site de la Centrale aura été éradiqué, une campagne de forage des terrains sera engagée. Il s’agira de sonder si d’éventuels événements industriels ont laissé des traces dans la terre. Le cas échéant EDF fera dépolluer les sols. Cette obligation est d’ailleurs inscrite dans le plan de gestion qu’il lui faudra produire à l’administration, pour obtenir quitus et être ensuite en mesure de proposer les 52 ha de Richemont à un nouvel usage industriel. Car ce foncier en bord de canal est résolument dédié à cette fonction et ce n’est qu’une fois le terrain dégagé, curé s’il le faut, et que le nihil obstat de l’Etat ayant été accordé, il sera possible de générer une nouvelle vie en faveur de ce site qui fut terre d’énergie.

Le thermique en ligne de mire

Dans le sillon mosellan, EDF est la tâche sur trois sites. Richemont bien sûr, mais également Blénod-lès-Pont-à-Mousson ou encore La Maxe. C’est le fruit de l’histoire industrielle de notre région et d’un nouveau paradigme énergétique. Sans négliger le fait que les installations en question étaient en bout de vie d’une manière ou d’une autre. Du côté de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, une anticipation de l’événement a permis de créer un nouvel outil de production électrique avec sa centrale à gaz (Lire C’est Demain N° 18 d’avril 2017), mais pour autant, l’ancienne installation ne perdurera pas. Les cheminées vont tomber l’an prochain et l’inexorable avancée du plan de post-exploitation finira par avoir raison de cette centrale qui se découpe dans le panorama de la vallée. La Maxe suivra la même logique. EDF est engagé dans un vaste programme à travers tout le pays (hors le champ des centres nucléaires de production électrique) qui concerne sept autres sites thermiques.

Richemont qui était composée d’un bloc de trois chaudières de 55 mégawatts et d’un autre bloc abritant deux chaudières de 125 mégawatts, le tout représentant une puissance de 180 mégawatts entrera dans le domaine des cartes postales jaunies du passé industriel de la Moselle, ce dimanche 22 juillet. Le foudroyage des poutrelles d’acier, aidé par la gravité mettra à bas l’édifice, qui depuis des mois laissait apparaître son ossature et un peu de sa tripaille. Au final 8 000 tonnes de matériaux auront été ou seront à recycler. Afin de protéger l’environnement de la Centrale du souffle des explosions et de ses conséquences, une zone de protection a été délimitée. Mais au delà, parce que des grands axes de mobilité transitent dans « le jardin » de cet équipement industriel, des mesures extraordinaires prévaudront. Les deux autoroutes A 31 et A 30 seront coupées à toute circulation pendant une poignée de minutes, afin d’éviter que le spectacle de l’abattage de la structure détourne les conducteurs de leur vigilance. Même chose pour les routes voisines, pour la navigation très proche et pour le chemin de fer. Le choix précis de 9h15 a d’ailleurs été arrêté pour permettre le passage d’un TER peu avant 9h. Après tout dépendra de la météo, mais seul un orage ou une tempête pourrait engendrer un décalage de cet horaire fatidique. Richemont expirera l’instant d’après et avec elle, un demi siècle à turbiner au profit de l’économie régionale.

Gilbert Mayer

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